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Prompt ! #11
Échos du Forum
Newsletter du Forum Campus psy
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Le Forum Campus psy, co-organisé avec l’association UFORCA, est un temps fort, un événement marquant, dans la vie de notre Délégation de l’ACF. Des équipes techniques aux invités, en passant par le comité d’organisation – sans oublier ceux qui se sont déplacés pour entendre les travaux du 12 octobre dernier – de nombreux collègues ont contribué à la réussite de cette journée qui fut vive et enseignante. Hélène Girard, Gaëlle Terrien et Solenne Daniel, membres du Bureau de la Délégation régionale, ont impulsé une belle dynamique de travail, faisant circuler le désir de savoir. Si les algorithmes sont partout, en faire un objet d’étude pour ceux qui s’orientent de la psychanalyse lacanienne était assez inédit. Il y a fort à parier que cette journée fera date, contribuant à la constitution d’une épistémè pour notre champ.Cécile Cappelle, Sarah Guesmi, Marius Pion et Dora Zaouch, des collègues des trois pôles de la Délégation, ont accepté d’écrire ce qui a fait écho pour eux. Loin d’être une IA qui aurait appris des connaissances de façon exhaustive, cette Newsletter témoigne de la façon singulière dont chacun rencontre une thématique. Ce qu’il reste d’une Journée – peut-être un point, quelques formules – tient à ce qui résonne avec une question singulière, comme l’illustre formidablement la diversité de leurs textes. C’est aussi de là que quelque chose peut se transmettre et que le travail, sous transfert, peut se poursuivre.
Les textes préparatoires, publiés dans les Prompt ! resteront des références précieuses, c’est pourquoi nous avons choisi de les rassembler dans un document que nous avons le plaisir de vous partager.
Le Forum Campus psy vous donne rendez-vous dans deux ans, mais, d’ici-là, de très nombreux événements continueront de rendre l’étude de la psychanalyse vivante dans les villes de Val de Loire – Bretagne.
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En guise de prolongement de cette journée, nous vous invitons à découvrir le très bel ouvrage qui vient de paraître sous la direction de Myriam Chérel, Autisme : numérique et robotique
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Sur le bord
Par Sarah Guesmi
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Assister au forum « Désir d’intelligence artificielle ? Les algorithmes et la parole », n’a pas été sans effet sur mon ignorance en la matière. De la densité du programme, j’extrais un point saillant, qui est venu résonner avec une question formulée par une équipe d’auxiliaires de puériculture en crèche avec laquelle je travaille. Un petit garçon, tout juste « marcheur » avait mis à l’épreuve cette équipe par ses comportements énigmatiques. Se cognant sans cesse, cherchant la contention de son corps par l’adulte, l’équipe avait fini par adapter chacune de ses réponses en fonction de ladite question : Le jeune enfant se constitue-t-il un corps par son bord ?
Lacan note que : « Le parlêtre adore son corps, parce qu’il croit qu’il l’a. En réalité, il ne l’a pas, mais son corps est sa seule consistance – consistance mentale, bien entendu, car son corps fout le camp à tout instant. »[1] Cette consistance mentale implique l’opération du stade miroir, qui vient articuler pour le sujet l’image du corps au symbolique par le langage.
« Bord de corps » est une formule peu usitée dans notre champ ; si ce n’est à se référer à la question de l’autisme. Pour le sujet autiste, point de consistance mentale, point de corps constitué comme tel, faute d’opération signifiante, symbolique. « Le spectre de l’autisme se déploie à partir des différentes manières de maîtriser le manque qui commande le désir en prenant appui sur un bord. Si la jouissance fait retour dans le corps chez le schizophrène, si elle se localise dans l’Autre pour le paranoïaque, pour l’autiste, selon l’hypothèse d’Éric Laurent […], elle se localise dans un « néo-bord ». La notion de « bord autistique » se trouve développée en 2009 dans L’Autiste et sa voix (Maleval, 2009) »[2].
Le cas déplié par Claire Brisson, lors du Forum Campus psy, a permis que s’éclaire pour moi un détail clinique tout à fait fondamental. Le bord, nous a rappelé J.-C. Maleval lors de son commentaire, est une frontière érigée par le sujet autiste, à partir de son objet, entre son monde et celui des autres. Ce bord localise la jouissance et sert de protection. L’usage de l’IA, comme en témoigne ce cas, peut permettre à certains sujets la constitution d’un bord, d’un appui, pour qu’un lien social s’instaure. Cet éclairage précieux quant à l’usage des objets, je ne manquerai pas de le restituer, pour maintenir vivant, le désir de savoir déjà très à l’œuvre au sein de cette équipe.
Ainsi, le travail du Forum se poursuit-il au-delà du 12 octobre. Le savoir extrait se transmet, au un par un, sur un point, un bord.
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[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005, p. 66.
[2] Maleval J.-C., « Un animal comme bord autistique », Bulletin de psychologie, tome 67, 2014, p. 5.
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L’IA, entre science et religion
Par Dora Zaouch |
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En abordant le Forum Campus psy consacré à l’Intelligence Artificielle, il me semblait communément admis que cette technologie tient du domaine du scientifique. Scientifique, car basée sur la statistique d’abord, puis parce que son vocabulaire (neuronal, probabilité, données…) avec ses domaines d’application servent aux recherches de pointe. Mais lors du 12 octobre, Antoinette Rouvroy[1] a indiqué que l’on s’éloigne du domaine de la science du fait de l’apprentissage continu de l’IA. En effet, pour qu’elles fonctionnent, les machines s’entrainent sur des quantités de données massives, allant jusqu’à créer des données synthétiques pour s’alimenter, données entièrement fabriquées par les IA, opaques et parfois aberrantes[2]. Ici, l’apprentissage ne se fait donc pas à partir d’un trou dans le savoir. Lors du Forum Campus psy, c’est ce qu’a fait valoir Fabian Fajnwaks en avançant que l’IA représente un « Autre de synthèse : trésor d’informations, lieu du code chiffré, sans manque qui vient animer ce chiffrage ». Il a écrit par ailleurs que l’IA « n’a des sciences mathématiques que la forme, mais […] ne formalise rien »[3].
Or, si l’IA n’est pas du côté de la science, comment la situer ? À se repérer par rapport à la question de la vérité et du savoir, Lacan dans « La science et la vérité »[4] oppose trois domaines où la vérité est en place de cause : science, magie et religion. L’exposé présenté par Maxime Annequin est là tout à fait à propos. Il y a notamment été question du créateur de la voiture autonome chez Google, Anthony Levandowski, également à la tête d’une religion basée sur l’IA comme divinité – nommée « Way of the Future » –, qui participe d’un certain déni du réel. Cela a résonné avec la lecture que fait A. Rouvroy du règne de l’IA : « l’enjeu ce n’est pas la transparence des boîtes noires, c’est le déni de l’opacité de ce monde ».
Avec des interventions d’une grande qualité et des invités de choix, ce Forum nous aura interpellés sur ce qu’il en est du Désir d’Intelligence Artificielle.
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[1] Antoinette Rouvroy est docteure en sciences juridiques et chercheuse au FNRS à l’Université de Namur.
[2] Cf. Nikitine K., « Des lois sur les usages d’outils dont on ne sait (presque) rien », La Recherche, no 577, avril/juin 2024, p. 32.
[3] Fajnwaks F., « Il n’y aura pas d’algorithme pour numériser l’analyste », La Cause du désir, no 97, novembre 2017, p. 57.
[4] Cf. Lacan J., « La science et la vérité », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 855-877.
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Qui parle ?
Par Marius Pion |
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Le Forum a été le lieu de beaucoup d’indications précieuses sur les enjeux contemporains des algorithmes et de la parole.
À partir de la psychanalyse et de champs connexes, une proposition m’a semblé nouer l’ensemble des présentations de la journée, que l’on pourrait énoncer ainsi : le parlêtre n’est plus le seul à parler. Chacune des interventions gravitait avec finesse autour de cette illusion singulière d’avoir affaire à un autre ; un autre qui nous répond, semble prendre une certaine position… En somme, l’illusion d’un autre qui use du signifiant. Pourtant, du côté des algorithmes – ceux des robots conversationnels notamment – il a été mis en évidence qu’il s’agit bien moins du signifiant que d’un « langage qui ne rencontre jamais que ses propres effets », comme a pu si pertinemment le formuler Antoinette Rouvroy. C’est-à-dire que l’évolution des énoncés de l’IA ne dépend que d’ajustements face à l’utilisateur, que seul le code informatique détermine.
Plus encore, l’absence de manque et, selon les mots de Fabian Fajnwaks, la « signification sans l’appui du corps », caractérisent les énoncés de la machine. Si l’intelligence artificielle construit des phrases, elle n’est pas un être parlant : là où il y a de l’opérationnalité brute, il n’y a pas de corps traversé par le signifiant – il n’y a, en fait, pas de corps tout court. Lacan d’ailleurs énonce que « l’inconscient ne va pas sans référence au corps »[1]; l’intelligence artificielle serait donc vide d’inconscient et d’énonciation. Si Yana Grinshpun nous a indiqué que « l’Homme a perdu l’exclusivité de la parole », voilà ce qui lui reste propre. À l’époque où le parlêtre n’est plus le seul à parler, il a été fondamental de le souligner. Il n’en reste pas moins qu’entendre la machine comme un être qui nous parle produit des effets, qui ne sont pas sans nous rappeler ce que Freud déjà décrivait dans L’Inquiétante étrangeté quant au « [doute] qu’une créature sans vie pourrait bien être animée »[2].
Voilà ce que ce Forum nous a permis d’entendre, avec une chaleur et une convivialité ponctuant la journée au-delà des interventions, en réunissant des cliniciens qui partagent une éthique et une sensibilité précieuse. Mon premier Forum aura été une expérience marquante.
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[1] Lacan, J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005, p. 135.
[2] Freud, S., L’Inquiétant familier, Payot & Rivages, 2011, p. 43. |
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Du temps historique au temps numérique
Par Cécile Cappelle |
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Ce Forum Campus psy fut d’une grande richesse pour appréhender les effets de l’intelligence artificielle (IA) sur notre monde contemporain.
Elisa Fromont, professeure d’informatique, nous a éclairés avec précision sur son fonctionnement. Retenons qu’à partir d’un grand nombre de données, les data, collectées à très grand échelle, et traitées dans l’immédiateté, l’IA extrait des corrélations statistiques. Pour autant, ce fonctionnement reste opaque, dans le sens où il est impossible de remonter la logique d’un résultat en particulier. Il n’y a donc nul besoin d’une hypothèse initiale qui amorcerait son travail.
Dans un style vif et percutant, Antoinette Rouvroy, docteure en sciences juridiques, nous a fait entendre comment les algorithmes prédisent l’apparition des comportements de chaque individu dans une temporalité qui devient récursive. Le présent n’est plus le temps privilégié, ce qui compte c’est l’anticipation sur un modèle spéculatif de risque et de prédictibilité. Exit l’homme moyen référé à des normes statistiques et le modèle de la démarche scientifique construits dans une temporalité linéaire, qui est aussi celle du temps historique. Le temps numérique est tout autre. L’IA se nourrit du rafraîchissement permanent des data, chaque individu produit ses propres normes labiles et évolutives. Antoinette Rouvroy indique qu’il s’agit là d’une nouvelle version du capitalisme. Quels effets aura-t-elle sur les sujets eux aussi pris dans ce temps numérique ?
Alain Damasio[1], dans Vallée du silicium, décrit dans un style enlevé et original un homme rencontré dans la Silicon Valley. Monitoré par différentes applications, son corps est « habillé » d’une doublure numérique lui envoyant en continu un retour quantifié de ses paramètres corporels et des mesures correctives à apporter à son alimentation, son activité physique, son sommeil, dans une illusion de parfaite maîtrise visant à annuler tout potentiel surgissement d’un trou dans le savoir. Cette version du sujet du numérique, nouvelle manière de tenter d’évacuer le réel qui ne manquera pas de faire retour, rendra toujours plus nécessaire la psychanalyse comme réponse à l’insoutenable du discours capitaliste démontré par Lacan[2].
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[1] Damasio A., Vallée du silicium, Paris, Seuil, 2024, p. 119-159.
[2] Pfauwadel A., Lacan versus Foucault, Éditions du Cerf, 2022, p. 116-120.
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La Délégation régionale de l’ACF en VLB et les responsables UFORCA profitent de cette dernière Newsletter pour remercier chaleureusement toutes les équipes pour le formidable travail accompli, et sans qui ce Forum n’aurait pu se tenir. Enfin, un grand merci à Sarah Camous-Marquis et Élise Rocheteau, responsables de cette Newsletter ainsi que leur équipe, pour l’élaboration de Prompt ! au fil des mois, avec une ligne éditoriale forte, introduisant au thème de façon remarquable. Un grand merci. Rendez-vous dans deux ans.
Hélène Girard
Déléguée régionale de l’ACF en VLB
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