Au prompt[1] : « Que boit le chat ? », la réponse de ChatGPT est ce jour-là : « Les chats boivent de l’eau pour rester hydratés et en bonne santé. N’hésitez pas à consulter un vétérinaire si vous avez des questions sur la santé ou le bien-être de votre chat ».
Tout est symbolique… rejet du réel
Pour produire cette réponse, l’intelligence artificielle « ne procède que par corrélations, calculs statistiques de probabilités, elle cherche à anticiper le signifiant le plus proche de ceux qui lui sont soumis »[2]. Il s’agit d’une simple opération signifiante – simple, bien qu’à l’occasion elle puisse être sophistiquée. L’IA, c’est du calcul, du calcul pour savoir… toujours plus.
La science, qui la génère « n’a rien à faire avec le réel, ni, du même coup avec la vérité »[3], puisque, selon la psychanalyse, « la vérité gît au point où le sujet refuse de savoir »[4].
Dit autrement, la machine ne sait pas ; c’est nous qui l’interprétons sachante, qui la voulons sachante, nous qui jouissons – jusque et y compris dans la peur – de cette supposée toute-puissance sachante, suture rêvée, sous couvert d’améliorations de notre condition, toujours mieux apte à donner l’illusion d’obturer le non-rapport sexuel qui nous spécifie comme parlêtres.
C’est vouloir ignorer deux points :
- que « le “rapport” sexuel [contrairement au fantasme] ne peut être pris dans aucune mathématisation »[5], qu’il est fondamentalement ex, hors-de ;
- et que « tout calcul est forcément calcul sur la jouissance, et donc jouissance elle-même »[6] pour celui qui le met en œuvre.
Ce qui est rejeté du symbolique fait retour dans le réel
La conséquence, pour l’homme moderne, puisque « tout ce qui est rejeté du symbolique reparaît dans le réel »[7], est la formation « de ce qu’on appelle le symptôme. Le symptôme, c’est ce nœud réel où est la vérité du sujet »[8], dit Lacan dès 1968.
Quels sont les symptômes suscités par l’IA aujourd’hui ? L’homme contemporain, qui s’en fait l’objet, a-t-il déjà pu en arriver au point d’une réponse symptomatique au développement frénétique de ce phénomène qu’il engendre ? Quelque chose de cela n’est-il pas à lire dans « la grande crise éthique (c’est-à-dire touchant la définition de l’homme) »[9], évoquée par Lacan en 1966, qui se traduit aujourd’hui par « une crise du vivant »[10] ?
Perspective éthique
La science suture, totalise, s’aliène, au niveau de l’Autre[11], « sans égard pour les conséquences de ses opérations »[12]. La question éthique consiste dès lors à savoir quel espace il est possible de faire exister, pour qu’un sujet moderne puisse advenir en tant que tel, quelle modalité de trou opérer pour qu’advienne un nouage pour chaque Un particulier, une réponse à sa mesure, qui lui permette de trouver une respiration.
Comme l’indiquait Jacques-Alain Miller, lors de la matinée « Lacan au présent »[13], la psychanalyse, « si précaire [qu’elle] puisse paraître », est un « contre-poids » au discours générateur de l’IA. Ceci lui confère une grande responsabilité : celle de faire résonner le ressort de ce que Lacan, dans son dire si singulier, déployait comme « pouvoir d’illecture »[14], soit ce qui, précisément, fait trou dans les corrélations et autres probabilités régies par la Loi, aussi bien que dans nos illusions. Alors, dans cette voie, à chacun son style !