L’éco-anxiété, du nouveau dans le
trouble ?
par Colette Baillou
L’éco-anxiété, « contraction d’écologie au sens de “science ayant pour objet les relations entre les êtres vivants avec leur environnement” et d’anxiété »[1], serait le nouveau mal du siècle. Inventée et théorisée en 1997 par Véronique Lapaige, importée en France par Alice Desbiolles en 2019[2], cette notion est mise en avant dans les médias et débats politiques. C’est une anxiété d’anticipation et eschatologique relative aux crises environnementales[3], liées en particulier au dérèglement climatique constituant, selon l’OMS, la principale menace pour la santé publique du XXIe siècle.
Son mécanisme est basé sur des données scientifiques « avec l’idée [qu’elles] peuvent être au fondement d’une théorie morale capable de transformer profondément la vie de quelqu’un réalisant que toute la mythologie qui entoure nos sociétés peut être déconstruite »[4]. Cet état d’âme[5] peut prendre différentes formes : « inquiétude, peur, colère, tristesse, désespoir, voire culpabilité et honte »[6]. Pour s’en soulager, il suffirait d’agir. Outre le militantisme, certains vont jusqu’à abandonner leurs projets professionnels et personnels, dont celui d’avoir des enfants. Majorée par « le décalage entre ce qui est perçu de l’urgence de la situation et l’absence de réaction des politiques »[7], l’éco-anxiété toucherait davantage les femmes jeunes et sensibles aux déclarations de Greta Thunberg. « J’étais en troisième quand j’ai entendu [son] appel et ai pris conscience qu’on ne pouvait plus faire confiance aux politiques […]. J’ai du mal à me projeter personnellement et surtout beaucoup de mal à imaginer l’avenir plus globalement »[8], témoigne Lilas-Brune. Bien que l’éco-anxiété soit considérée comme un stress légitime, elle peut prendre une tournure pathologique, état dépressif, burn out militant[9].
Dans son article très complet, Eddy Fougier repère trois risques : « Le premier serait de ne pas prendre au sérieux cette forme d’angoisse, […] le second de pathologiser cette anxiété climatique, réaction tout à fait saine pour de nombreux chercheurs et propice à une action requérant des changements vitaux, […] le troisième serait de l’instrumentaliser à des fins idéologiques, politiques, commerciales ou sectaires »[10]. Face aux demandes grandissantes qui leur sont adressées, certains psychologues et psychothérapeutes envisagent d’en faire une spécialisation, d’autres s’y opposent. En effet, à considérer « l’enveloppe formelle »[11] du symptôme plutôt que sa fonction, signe d’une dissolution de la clinique, ne prive-t-on pas le sujet d’un accès à son déchiffrage ?
[1] Fougier E., « Éco-anxiété : analyse d’une angoisse contemporaine », Fondation Jean Jaurès, 2 novembre 2021, disponible sur le site de la Fondation Jean Jaurès.
[2] Quevrain C., « Qu’est-ce que l’éco-anxiété, ce mal qui touche en particulier les jeunes générations ? », LCI, 6 novembre 2021, disponible sur internet.
[3] Hamadi N., « Sous les radars. L’éco-anxiété, nouveau mal du siècle ? », France Culture, 13 novembre 2021, disponible sur le site de France Culture.
[4] Ibid.
[5] Cf. Desbiolles A., L’Éco-anxiété. Vivre sereinement dans un monde abîmé, Paris, Fayard, 2020.
[6] Quevrain C., « Qu’est-ce que l’éco-anxiété… », op. cit.
[7] Hamadi N., « Sous les radars. L’éco-anxiété… », op. cit.
[8] Ibid.
[9] Ibid.
[10] Fougier E., « Éco-anxiété : analyse… », op. cit.
[11] Miller J.-A., « L’inconscient et le corps parlant », La Cause du désir, n°88, octobre 2014, p. 110, disponible sur le site de Cairn. |