Le besoin au détriment du désir
par Romain Aubé
Dans son article premier, la loi du 14 mars 2016 règlemente l’orientation de la protection de l’enfance : « La protection de l’enfance vise à garantir la prise en compte des besoins fondamentaux de l’enfant, à soutenir son développement physique, affectif, intellectuel et social et à préserver sa santé, sa sécurité, sa moralité et son éducation, dans le respect de ses droits. »[1]
Afin de cerner quels étaient les besoins fondamentaux, une démarche de consensus a été réalisée[2]. Dans sa lecture, celle-ci a oublié la virgule qui séparait le fait de garantir la prise en compte des besoins fondamentaux du soutien à avoir quant au développement physique, affectif, intellectuel et social de l’enfant ainsi qu’à la préservation de sa santé, sa sécurité, sa moralité et son éducation. Ce faisant, la liste des besoins s’est étendue à toutes les catégories du champ humain – la sécurité, l’affectivité, la socialisation, la santé, l’éducation, l’identité, etc. –, et donc à tout ce qui est interprété comme une demande à satisfaire. Il est maintenant à charge du professionnel d’être sur la totalité des tableaux, en laissant sur le carreau la question du désir qui, lui, ne rentre pas dans ces catégories – car ce dernier est « paradoxal, déviant, erratique, excentré, voire scandaleux, [ce en quoi] il se distingue du besoin »[3].
De ce consensus, nous en trouvons l’application dans une institution de protection de l’enfance sous la forme d’un « plan d’action », à établir avec la famille concernée par une mesure éducative, où sont à renseigner les « besoins satisfaits » et les « besoins à satisfaire ». Un tel programme pousse les professionnels à répondre à chaque demande formulée par l’enfant, sans y interroger la place du sujet. Besoin et demande se voient confondus. Or, celle-ci « porte sur autre chose que sur les satisfactions qu’elle appelle. Elle est demande d’une présence ou d’une absence »[4]. Combler la demande de l’enfant a pour effet d’écraser la demande d’amour[5]. L’enjeu est de taille, car il s’agit d’offrir la possibilité d’une « marge où la demande se déchire du besoin »[6], afin que le désir s’en « ébauche »[7]. Si la demande aliène à l’Autre, le désir introduit une séparation par la voie du manque, ouvrant ainsi le sujet à sa propre responsabilité.
[1]. « Loi n°2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant », disponible sur internet.
[2]. Martin-Blachais M.-P., « Démarche de consensus sur les besoins fondamentaux de l’enfant en protection de l’enfance », 28 février 2017, disponible sur internet.
[3]. Lacan J., « La signification du phallus », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 690.
[4]. Ibid., p. 690-691.
[5]. Cf. ibid., p 691.
[6]. Lacan J., « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien », Écrits, op. cit., p. 814.
[7]. Ibid. |