Ligne éditoriale

par Caroline Doucet
L’Association de la Cause freudienne en Val-de-Loire Bretagne dispose d’un courrier d’informations interne, elle se dote à présent d’un outil ouvert à tous ceux que le discours analytique porte et qui l’appelle à déchiffrer le monde des discours tel qu’il va.
Dans la « Conversation d’actualité avec l’École espagnole du Champ freudien »[1] publiée récemment, Jacques-Alain Miller révèle l’instant de voir qu’a été pour lui le moment Trans. Aussi, une méthode se lit et se dessine en creux dans cet écrit : faire apparaître les axiomes déterminants du discours universel ainsi qu’opérer une couverture permanente de l’évolution et de l’actualité de la clinique dans toute son étendue, de sorte à ne pas être pris de cours et si possible, avoir un temps d’avance !
Ainsi, en prise directe avec l’esprit du temps, et dans son lien à l’École de la Cause freudienne, L’Inédit – c’est son titre – éclaire le nouveau en Val-de-Loire Bretagne, ce que l’on n’avait encore jamais entendu ou lu, ce qui s’immisce ou voudrait s’installer dans nos pratiques, le tout passé au prisme de l’orientation lacanienne. Ce qu’en dit Lacan !
Pas de rythmicité préétablie, L’Inédit est un organe mobilisable et évolutif. Tout dépendra des contenus reçus, entre effet de hâte et éthique des conséquences. Chaque membre de l’ACF, de là où il se situe, en est le correspondant. Le comité éditorial construira les numéros au fil de l’actualité et des débats à venir.
Un édito et cinq rubriques – Choses entendues, Choses lues, En direct des institutions, Désir d’ACF & Échos de cartels – mettront en relief non seulement les contours du malaise dans la civilisation, mais surtout les déclinaisons contemporaines du combat de Freud pour l’analyse laïque. En 1953, Lacan soulignait l’enracinement de la psychanalyse « dans la grande tradition – celle pour laquelle l’homme ne saurait jamais être réduit à un objet »[2]. C’est notre spécificité.
À vos plumes !

Caroline Doucet
Déléguée régionale
[1]. Cf. Miller J.-A., « Conversation d’actualité avec l’École espagnole du Champ freudien, 2 mai 2021 (I) », La Cause du désir, n°108, juillet 2021, p. 34-55, disponible sur Cairn.
[2]. Lacan J., « Lettre de Jacques Lacan à son frère Marc François, 1953 », in Miller J.-A. & Alberti C. (s/dir.), Ornicar ? hors-série. Lacan Redivivus, Paris, Navarin, 2021, p. 222.

L’inédit d’un désir

par Éric Zuliani

Cette période analytique sous Covid fera date. Car, paradoxalement, ce qui en constitue son principal effet est la manière dont, sous l’impulsion de l’École de la Cause freudienne, l’Association de la Cause freudienne a trouvé son salut par l’étude de la psychanalyse, par le truchement de notre organe de base efficace, le cartel. L’ACF a redonné à l’étude une brillance dans des modalités de travail inédites. Ajoutons qu’à cause de l’impossibilité de se réunir physiquement, ce qu’on appelle « les connexions » ne pouvaient avoir lieu, et que, durant les premières semaines, certains délégués témoignaient de questions qu’on leur adressait sur une participation aux plateformes d’écoute ou sur la pratique. Or, si dans l’ACF il y a des praticiens, celle-ci n’est pas une association de praticiens, mais d’étude de la psychanalyse : je crois bien que c’est ce qui fait son agalma !
Mais cette étude, qui rencontre toujours un succès dès lors que l’on propose de lire Lacan, de lire Lacan lisant Freud, doit trouver son implication pratique dans la cité par sa participation, voire son côté agent provocateur dans des débats de société. C’est ainsi que l’ACF a pu se saisir de la question trans soulevée par Jacques-Alain Miller et qui recèle bien des implications pour la psychanalyse et sa survie : menace des fondements de la démocratie, menace sur l’interprétation, menace sur la liberté d’équivoque de la parole.
J.-A. Miller a donné de précieuses indications pour penser cette action lacanienne dans la cité. Une première : « Plus jamais le Champ freudien ne doit être pris sans vert par l’émergence inopinée dans “le débat public” d’une question d’ordre clinique ayant des incidences sociétales et médiatiques majeures. »[1] Puis une seconde : « Rappelez-vous que Lacan, en son temps, assignait à son École, dès l’“Acte de fondation”, la tâche d’assurer “le commentaire continu du mouvement psychanalytique.” Pauvre “mouvement psychanalytique” ! Nous nous sommes lassés de chroniquer le déclin de l’IPA. Seulement, mouvement il y a, et comment ! À l’échelle de masse. Dans la rue. Dans la société. Dans la “civilisation” »[2].
À partir de ces deux indications, il me semble que l’initiative de la création de L’Inédit répond d’une certaine manière à cette question.
Pour l’ACF, le nouage se fait entre l’étude, dont le noyau est le lire, et sa présence dans le social. Une indication de Lacan en 1953 permet de l’éclairer. Quand il dit : « Qu’il connaisse bien la spire où son époque l’entraîne dans l’œuvre continuée de Babel »[3], c’était pour prévenir le psychanalyste de ne pas s’y trouver aspiré, et ajoute : « qu’il sache sa fonction d’interprète dans la discorde des langages »[4], pour indiquer la fonction essentielle de l’interprétation remise récemment à la Une par J.-A. Miller.
Le désir d’ACF n’est-il pas suscité par le lien qu’elle entretient à l’École ? N’est-on pas causé par ce que sa position recèle d’inédit et de précieux à travers sa fonction entre autres de refuge et de base d’opération, à partir de l’étude ?

[1]. Miller J.-A., « La conjoncture actuelle du débat public en France, vue de la rédaction de Lacan Quotidien », Paris, le 2 avril 2021.
[2]. Ibid.
[3]. Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 321.
[4]. Ibid.

Déclinicisation et modes de la responsabilité subjective

par Danièle Olive

La montée des droits de chacun à discuter des noms qui leur sont destinés s’inscrit dans un mouvement de « dépathologisation », et aussi de « déclinicisation »[1].
Les récentes Assises de la santé mentale[2] et le remplacement du paradigme biomédical par le paradigme bio-psycho-social étaient exemplaires sur ce point. Le trouble de la santé mentale étant défini comme trouble de l’adaptation à son environnement, il s’agissait dès lors de renforcer les ressources personnelles de la population, et d’accroître le rôle du secteur non sanitaire en termes de prévention et d’éducation, la psychiatrie ne représentant plus que 20% de cet ensemble. Il a donc été question de capital santé, d’éducation au bien-être, d’enquête sur la santé mentale des trois–onze ans (serpent de mer bien connu), d’apprentissage au repérage de la dégradation de sa propre santé mentale et de celle des autres et du déploiement nécessaire de sentinelles en santé mentale formées au premiers secours, des pairs naturellement, de lignes d’écoute aussi bien sûr, de plateformes, et enfin des annonces concernant les psychologues. La surprise pour moi est venue de la volonté affirmée des associations de patients de ne pas se laisser enrôler comme soignants, et de maintenir la distinction du care et du cure.
Chassée par la porte, la pathologie fait retour par la fenêtre. Dans le bouleversement contemporain des identifications, ce sont notamment les signifiants du diagnostic, issus du discours de la science, que les sujets mobilisent pour inscrire dans l’Autre leur malaise et y arrimer leur jouissance. S’intéresser à la fonction qu’ils ont pour les sujets peut permettre, au un par un, d’amorcer un processus de subjectivation, à rebours de ce pourquoi ils ont été mis en circulation.
Là où prévention et protocole visent l’effacement des symptômes au nom d’un savoir qui vaudrait pour tous, l’urgence devient un des modes contemporains de manifestation du sujet. Jacques-Alain Miller[3] a fait valoir en quoi la définition lacanienne du sujet comme réponse du réel implique le sujet de droit, droit à la revendication, versus castration certes, mais pas sans l’implication du sujet en tant qu’il peut répondre, répondre de ses énoncés. Cela implique une toute autre façon de mettre en jeu le binaire culpabilité–responsabilité que celle qu’on veut nous imposer aujourd’hui. Seul un sujet de droit, nous dit J.-A. Miller peut avoir un sentiment de culpabilité, c’est ce droit-là, celui de permettre aux sujets de lire leur symptôme, celui de déployer à l’occasion leur sentiment de culpabilité qu’il s’agit de maintenir ouvert aujourd’hui.

[1]. Miller J.-A., « Conversation d’actualité avec l’École espagnole du Champ freudien, 2 mai 2021 (I) », La Cause du désir, n°108, juillet 2021, p. 37, disponible sur Cairn.
[2]. « Dossier de presse », Assises de la santé mentale, 27-28 septembre 2021, disponible sur internet.
[3]. Miller J.-A., « Sante? mentale et ordre public », Mental, n°3, janvier 1997, p. 18.

Quelques mots sur le mouvement woke

par Gérard Brosseau

Selon les commentaires que j’ai lus, ce mouvement informel est le successeur de ce qui fut longtemps appelé le « politiquement correct », soit une pression exercée sur toute forme d’expression pour l’obliger à s’aligner sur des standards.
Ce mouvement s’est autodésigné ainsi à partir d’un signifiant d’argot afro-américain, appelant à rester « éveillé » vis-à-vis des injustices subies par les minorités ou les catégories sociales opprimées – les femmes par exemple, qui ne sont pourtant pas minoritaires dans la population générale, etc. L’oppresseur est tout désigné, c’est le mâle blanc hétérosexuel judéo-chrétien capitaliste ou membre des élites sociales.
Né dans les universités américaines – dont celle de Evergreen, près de Seattle –, ce mouvement dit s’inspirer de ce que les universitaires états-uniens appellent la « french theory », faisant référence à Foucault, pour son articulation savoir–pouvoir, et à Derrida pour la « déconstruction ».
Associant ces deux penseurs, sans jamais articuler leur orientation de manière explicite dans une sorte de manifeste, les woke font pression, à travers les réseaux sociaux, sur les bureaucraties universitaires pour stipendier et in fine exclure aussi bien des étudiants que des professeurs. Le procédé se substitue aux institutions de l’état de droit : tout propos ou attitude peut être décrété comme faisant offense à une catégorie sociale plus ou moins large, déclenchant une condamnation sans procès suivie d’un harcèlement verbal, écrit, voire physique pour exclure le contrevenant à la loi non écrite de la communauté.
Comme le formule Felix Rueda dans la conversation avec Jacques-Alain Miller : « Derrière une volonté émancipatrice affichée, ces revendications en termes de nation, de race, de genre […] ne sont en fait que la face ségrégative du rationalisme biopolitique. »[1]
Un peu plus loin, J.-A. Miller reprend : « Il est clair que sur ce sujet, en tant qu’analystes, nous avons des choses à dire, à défendre, d’autant que les mouvements woke dont parlait Rueda prétendent nous empêcher de parler, de parler de clinique, de parler de psychose ou de perversion, de parler de quoi que ce soit ne relevant pas du futur de l’humanité trans – point de vue somme toute quelque peu étroit. »[2]

[1]. Rueda F., in Miller J.-A., « Conversation d’actualité avec l’École espagnole du champ freudien, 2 mai 2021 (I) », La Cause du désir, n°108, juillet 2021, p. 35, disponible sur le site de Cairn.
[2]. Miller J.-A., « Conversation d’actualité… », op. cit., p. 52.

Le besoin au détriment du désir

par Romain Aubé

Dans son article premier, la loi du 14 mars 2016 règlemente l’orientation de la protection de l’enfance : « La protection de l’enfance vise à garantir la prise en compte des besoins fondamentaux de l’enfant, à soutenir son développement physique, affectif, intellectuel et social et à préserver sa santé, sa sécurité, sa moralité et son éducation, dans le respect de ses droits. »[1]
Afin de cerner quels étaient les besoins fondamentaux, une démarche de consensus a été réalisée[2]. Dans sa lecture, celle-ci a oublié la virgule qui séparait le fait de garantir la prise en compte des besoins fondamentaux du soutien à avoir quant au développement physique, affectif, intellectuel et social de l’enfant ainsi qu’à la préservation de sa santé, sa sécurité, sa moralité et son éducation. Ce faisant, la liste des besoins s’est étendue à toutes les catégories du champ humain – la sécurité, l’affectivité, la socialisation, la santé, l’éducation, l’identité, etc. –, et donc à tout ce qui est interprété comme une demande à satisfaire. Il est maintenant à charge du professionnel d’être sur la totalité des tableaux, en laissant sur le carreau la question du désir qui, lui, ne rentre pas dans ces catégories – car ce dernier est « paradoxal, déviant, erratique, excentré, voire scandaleux, [ce en quoi] il se distingue du besoin »[3].
De ce consensus, nous en trouvons l’application dans une institution de protection de l’enfance sous la forme d’un « plan d’action », à établir avec la famille concernée par une mesure éducative, où sont à renseigner les « besoins satisfaits » et les « besoins à satisfaire ». Un tel programme pousse les professionnels à répondre à chaque demande formulée par l’enfant, sans y interroger la place du sujet. Besoin et demande se voient confondus. Or, celle-ci « porte sur autre chose que sur les satisfactions qu’elle appelle. Elle est demande d’une présence ou d’une absence »[4]. Combler la demande de l’enfant a pour effet d’écraser la demande d’amour[5]. L’enjeu est de taille, car il s’agit d’offrir la possibilité d’une « marge où la demande se déchire du besoin »[6], afin que le désir s’en « ébauche »[7]. Si la demande aliène à l’Autre, le désir introduit une séparation par la voie du manque, ouvrant ainsi le sujet à sa propre responsabilité.

[1]. « Loi n°2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant », disponible sur internet.
[2]. Martin-Blachais M.-P., « Démarche de consensus sur les besoins fondamentaux de l’enfant en protection de l’enfance », 28 février 2017, disponible sur internet.
[3]. Lacan J., « La signification du phallus », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 690.
[4]. Ibid., p. 690-691.
[5]. Cf. ibid., p 691.
[6]. Lacan J., « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien », Écrits, op. cit., p. 814.
[7]. Ibid.

Le cartel, une expérience inédite

par Benoît Delarue

Les rentrées des cartels dans chaque ville du pôle de Rennes sont l’occasion de créer un événement autour du cartel, dont Lacan a fait le mode de travail central de son École. En adoptant le principe d’une élaboration soutenue en petit groupe, il en fait « l’organe de base »[1]. Hélène Bonnaud signale que : « Si on s’attache à lire le signifiant organe, on y entend qu’il y va de la structure vitale d’un corps, mais aussi de l’organe, de l’outil de transmission d’une cause. Le cartel est ce lieu de transmission d’un savoir qui fait lien entre chaque sujet et participe de cette grande conversation qu’est notre désir d’être lacanien »[2].
Entrer en cartel permet d’aborder le savoir différemment, plutôt que de le recevoir clé en main. S’y mettre change la donne. On franchit un pas, en allant à la rencontre de quelques-uns pour questionner son savoir, tout en inscrivant ce travail dans l’École. C’est aussi la rencontre avec un plus-un que l’on choisit, qui vectorise, oriente, permet que s’élabore un savoir inédit pour chacun. S’il professe, fait le maître, cela tourne à vide et c’est l’ennui qui prédomine ; il doit plutôt produire des effets de trou, d’interrogation et de relance du travail en y faisant « fonction […] de manque »[3] – effet à même d’introduire du désir avec à la clé du nouveau. C’est l’expérience du cartel que j’ai pu avoir, dans le meilleur des cas. Les possibilités qu’offre le cartel sont multiples : étude du Séminaire de Lacan, cartel clinique ou/et politique, etc. Ils ont une temporalité plus ou moins longue, deux ans maximum, mais ils peuvent aussi être « fulgurants », pour travailler un point, une question, préparer un événement. En tout cas, pas d’automaton avec le cartel, car le principe de la permutation renouvelle l’expérience de manière inédite à chaque fois. Jacques-Alain Miller vient de donner un exemple formidable de l’usage souple et inventif du cartel, avec les cartels de transcription et d’édition des archives Lacan. Les délégués aux cartels, dans chaque région de l’ACF, sont là pour répondre aux questions qui se posent autour des cartels, alors n’hésitez pas à les solliciter !
Le cartel est une expérience singulière dont chacun peut témoigner à sa manière, soit l’effet obtenu, un par un, ce que nous vous invitons à faire dans L’Inédit.
Un dernier point, les cartels sont « de » l’École, ils sont déclarés à ce titre auprès des instances de celle-ci, qui en dresse un catalogue annuel. Elle se fait l’adresse de cette modalité inédite de travail voulue par Lacan, en permettant un transfert de travail, c’est-à-dire d’être travaillé soi-même par son enseignement et celui de l’École.

[1]. Lacan J., Aux confins du Séminaire, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Navarin, coll. La Divina, 2021, p. 56.
[2]. Bonnaud H., « Le cartel », Cartello, n°2, juin 2014, publication en ligne (ecf-cartello.fr).
[3]. Miller J.-A., « Cinq variations sur le thème de “l’élaboration provoquée” », 11 décembre 1986, disponible sur le site de l’ECF : causefreudienne.net.